La discussion
les trois cercles
les traverses
LES VOILES
LE SOUFFLE
Yo-Yo Gonthier, La tour bleue, Bambou, sisal, coton, encre, Dimensions : 5m x 5m x 10m
la tour bleue
C'est un abri, sans portes ni fenêtres, où on peut se retrouver, à la croisée des chemins. Un espace ouvert à tous, on peut s'y arrêter, réfléchir, rêver. C'est une agora, une cour, un manège, un moulin à vent, une embarcation, un repère, un territoire sans frontières, propice au mouvement, à la rencontre.
Né à Niamey au Niger, son encrage est celui d’un artiste au monde. Il vit et travaille actuellement dans les Pyrénées, en France. Il a un cursus très riche entre pratiques artistiques et recherches théoriques. Son travail puise dans la Rencontre, incite l’acte participatif des publics et initie des collaborations avec d’autres artistes. Son œuvre est présente dans de nombreuses collections. Il a également exposé et mené des expérimentations, des résidences à la Réunion, au Kosovo, à Barcelone, à la Biennale de Dakar, Biennale de la photographie, Antanarivo, à Bamako...
Dans le processus à l’œuvre dans sa pratique, Yo-Yo Gonthier nourrit une approche humaine du rapport à l’œuvre. Son travail questionne l’équilibre d’une pratique soumise au marché et une vision sensible, finement analytique de la société. La responsabilité de l’artiste résonne dans ses mots : car l’artiste pour lui, n’est pas au service d’un marché. Un tel constat pourrait paraître trivial pour ceux qui rêvent encore de la définition romantique de l’artiste en génie incompris et tourmenté. Toutefois, ce propos prend un sens tout à fait singulier à observer l’œuvre de Yo-Yo Gonthier.
Au-delà de la diplomatie culturelle ? Comment se joue pour les artistes le slalom entre financement public et privé de projets questionnant le rôle de l’artiste dans la société. Comment se questionne l’acte de créer, de produire, de diffuser. Pour quoi faire, pour qui. L’artiste sans concéder à la plasticité de ses œuvres, mène un travail de réflexion sur le monde de l’art qui participe de la mise en œuvre de ses dispositifs. Chez Yo-Yo Gonthier, se laisse entendre son envie absolue de garder son indépendance et une liberté de penser.
C’est depuis ce espace-temps « poétique et politique » qu’il se projette dans la résidence à Bandjoun Station. Il esquisse des possibles, imagine des interrelations avec les habitants et artistes présents, et envisage une sculpture collaborative et participative. Sa construction prend l’allure d’une tour échafaudée, aérée, armée de voiles. Une œuvre textile, qu’il entrevoit comme un espace symbolique, un lieu pour réactiver des liens, ou en créer de nouveaux, un espace d’imaginaires, ici avec les habitants.
Sa sculpture questionne l’art dans l’espace public, sa perception, son sens, sa validité comme repère, sa pérennité. C’est à partir de matériaux naturels locaux que l’œuvre est envisagée sur place, entre sculpture et installation, elle invite à une spatialité immersive. Des expériences sont ici, mise en perspectives pour les participants, des situations plus que des mises en scène, des situations de rencontres qui ont leur propre autonomie.
Finalement, témoigner de situations de rencontres humaines, avec un espace, une lumière, dans un rapport à l’émerveillement fait partie du travail de l’artiste qui intègre la dimension du merveilleux. Celui qui émérge de la rencontre.
Artiste au monde, rôle et enjeux... A quoi peut bien servir l’œuvre et l’artiste ? Cette question ne quitte jamais Yo-Yo Gonthier. C’est bien pour cela que depuis 2011, une grande partie de ses projets se construisent sur le travail en mode projet, à la fois participatif et collaboratif comme indiqué plus haut. Dans son œuvre, la poésie n’est pas déconnectée du politique, du sociologique, de l’écologique. En interrogeant la vitesse des rapports entre les mondes, entre mégalopoles et mondes ruraux, etc...
L’artiste questionne les fondements de l’humain, cette part d’inconnu et cette zone métaphysique que l’on retrouve dans son travail. Il invite les regardeurs à cheminer dans des espaces labyrinthiques. « Il s’agit surtout de proposer des cheminements... ».
L’intérêt qu’il saisit ici à Bandjoun, c’est d’être dans un espace rural, en proposant une forme sculpturale, connectée avec les vivants, et aussi les morts. Une construction symbolique prônant la rencontre. Ce projet s’inscrit à la suite du projet La cour crée en 2017au Mali avec le photographe François-Xavier Gbré. Encore une fois, pour lui il s’agit « de questionner l’empreinte politique de nos propositions artistiques ».
Animé par la pensée de Deleuze, qui fait de toute expérience la possibilité d’en tirer une idée, il pose la question à chaque fois de la trace éphémère ou durable laissée dans les mémoires par ces rencontres, ces projets, ces propositions artistiques.
Faire naitre des étincelles, comme des étoiles dans les yeux, dans des espaces vivants, habités, connectés avec le monde, en dehors du « cube blanc » muséal.
Son œuvre participe d’une forme de transmission des expériences, sans frontières spaciales et temporelles, une expérience d’art total. Ce qui se passe devant et derrière la caméra, autour et dans l’œuvre, avant pendant et après, fait partie du même geste. C’est-à-dire, ici, que toutes les étapes nécessaires à l’émergence de ce qui fera œuvre comptent dans son processus.
« Le vent, le souffle, la vie, la trace »Yo-Yo Gonthier aborde sa résidence à Bandjoun station, par le prisme de projets antérieurs comme Les liens, La cour, Le nuage qui parlait, Les vivants. Des œuvres collaboratives et participatives. « Dans La tour, un mouvement est impulsé, comme chorégraphié, dans la structure elle-même, on peut traverser l’espace, prendre son temps, et se retrouver dans le rond, le cercle, lieu de paroles et d’échanges, le point central de la construction, la base de la tour ». C’est une invitation à « prendre l’espace, à entrer dans l’espace de discussion, il s’agit d’un espace qui peut être traversé, une zone de croisement. « Comme dans le projet La cour, il s’agit d’un endroit qui symbolise cet espace essentiel commun, l’espace publique, celui des transmissions. Il fait aussi référence à la cour royale ou politique ».
La dimension éphémère des matériaux locaux vient renforcer l’idée que tout est éphémère et en mouvement, y compris les rapports de pouvoir. Il vient dit-il pour « rencontrer, partager les savoirs», en répétant cela nous savons que c’est le leitmotiv dans sa pratique : « Je viens pour apprendre et échanger les savoirs. ».
Il enracine son œuvre et son engagement dans les fondements « rhizomiques » de ses identités multiples. A la croisée des mondes, l’artiste propose tout au moins un espace d’expériences en écho aux urgences qui agitent nos sociétés. Ré-enchanter le monde et les relations humaines, un propos qui fait sens.
Le choix plastique s’ouvre comme une proposition poétique scénographiée dans l’espace public, un lieu partagé, un lieu de traversées et de chemins de traverses. Des lignes courbent dessinent un module autonome, une sculpture. Une œuvre textile faite de respirations, de pleins et de vides. Conçu pour s’adapter à l’itinérance, peut-être, une oeuvre à la fois mobile et immobile.
L’œuvre de Yo-Yo Gonthier a une dimension manifeste inclusive en interrogeant les fondements de l’humain. Il est persuadé de la pertinence des collaborations entre chercheurs et artistes à l’exemple de l’Espace Khiasma d’Olivier Marboeuf, L’Atelier de Françoise Vergès La colonie de Kader Attia. Ici, à Bandjoun Station, il se saisit aussi de la dimension « Manifeste » possible de l’œuvre marquant le rapport à la terre dans un geste poétique. Comme un objet de mémoire, cette œuvre ouvre un voyage, un parcours, une expérience sensible.
L’œuvre est intégrée à la vie....
Cynthia PHIBEL. Entretien du 11 août 2021, avec l’artiste.