La plage

PHOTOGRAPHIE

The beach, Mauritius island, 2008

Si l’on observe les paysages de l’île Maurice et notamment ses plages, des signes nous indiquent que derrière l’image d’Epinal se joue une autre réalité.

La privatisation du littoral met indirectement en péril la pêche de proximité, activité de subsistance de nombreux créoles, désormais expropriés des bords de mer au profit de l’industrie du tourisme.

Le décor est presque parfait comme ces antennes-relais camouflées en faux cocotiers qui poussent un peu partout sur l’île. L’envers du décor nous montre des murs interminables qui bordent les hôtels luxueux des uns, rendant la mer abstraite et difficilement accessible aux autres, les créoles, les habitants.

La plage devient un lieu surveillé, muré, barricadé. Elle est une marchandise qui s’achète et qui se vend. Les plages restées publiques sont étroites, rocailleuses, voire dangereuses. Des signes l’attestent, vous n’êtes pas les bienvenus, les mots interpellent : « BAIN DANGEREUX », « PRIVATE PROPERTY », « FOR SALE ».

L’appropriation des terres et l’édification des frontières se font le plus souvent à la faveur d’intérêts économiques au détriment des populations locales et suit une projection à court terme.

Deux images me restent en tête, celle du marchand ambulant et celle des pêcheurs qui retournent en mer. Elles m’évoquent une existence et une résistance fragiles qui nécessitent une mobilité parfois forcée certes, mais porteuse d’un élan, d’une certaine dynamique, d’un certain espoir.

 

Ce travail est extrait d’une commande photographique du Parc de la Villette sur le monde créole pour l’exposition Kréyol factory en avril 2009. Il a aussi été exposé à la  Biennale africaine de la photographie, à Bamako au Mali, en novembre 2009. 

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International exhibition at Fotomuseum - Antwerpen- Belgium - Bamako encounters 09 - 2010 

Looking more closely at the landscape – and especially the beaches – of Mauritius we see signs of a different reality, hidden behind Epinal’s picture postcard views.

Private ownership of the shoreline is indirectly threatening the livelihood of the Creole inshore fishing population who have been banished from the seafront, now in the hands of the tourist industry.

The film set is almost perfect, with telecom masts disguised as coconut trees spread across the island. But behind the scene are endless walls, fencing in the tourists in their luxury hotels and making the sea an abstract, barely accessible landmark for the local Creoles.

The beach is a policed, walled-in space, surrounded by barricades, a commodity to be bought and sold. The few remaining public beaches are narrow, rocky, often dangerous, with far from welcoming signs spelling out a clear message: “DANGER, NO SWIMMING”, “PRIVATE PROPERTY”, “FOR SALE”.

Economic interests based on short-term projections often dictate the decision to take over land and erect barriers, at the expense of the local population.

I came away with two recurring images – the traveling stallholders selling their wares and the fishermen going back out to sea. They evoke a fragile existence, a form of resistance requiring a mobility which, though sometimes forced inspires a certain energy, momentum, even hope.

Series resulting from a commission from the Parc de la Villette for the Kréyol Factory exhibition in April 2009.

A selection of this work is currently on display at the Encounters of Bamako 09.


 

le gardien, série Beach, Bamako, 09
Le gardien, Beach, Yo-Yo Gonthier, Rencontres de Bamako 09, Mali, novembre 2009.      

 

Revue Hommes et Migrations. Article issu du N°1282, novembre-décembre 2009, Dagara Dakin

Présenté en partie lors des 8èmes rencontres photographiques de Bamako qui se sont tenues du 7 novembre au 7 décembre 2009 dans la capitale malienne, la série Beach du photographe plasticien Yo-Yo Gonthier s'attache avec intelligence et discrétion - pour reprendre les mots de l'écrivain Manthia Diawara – à mettre en lumière la violence sournoise des frontières qui progressivement s'instaure entre riches et pauvres sur l'île Maurice. Les uns s'accaparant les espaces de liberté auquel jusque là tout un chacun avait accès de sorte que, excès du capitalisme aidant, le paradis des uns devient progressivement l'enfer des autres.

Propos carré

Dans la salle de l'exposition internationale des Rencontres de Bamako, la série Beach du photographe réunionnais Yo-Yo Gonthier, semblait de prime abord ne pas correspondre à la thématique des frontières, axe autour duquel s'articulait cette manifestation biennale. Pourtant elle y répondait, mais pas de manière évidente, plutôt tout en discrétion.

Sur les cimaises du musée le spectateur pouvait admirer 6 grandes photographies de format carré - le format de prédilection de l'artiste - le tout disposé en carré, décidément... La lecture de ces images se fait comme on lit une bande dessinée, soit vignette après vignette, image après image. En premier lieu, si le spectateur fait le choix d'une lecture classique de la droite vers la gauche, on voit une plage déserte mais attrayante. Puis, sur la seconde image un panneau indicateur signale la présence de caméras de surveillance sur la plage. Mais on n'y prête pas outre mesure attention. Simple signe plastique peut-être pense-t-on sur l'instant. Ensuite vient une vue de la même plage mais prise sous un autre angle. Et là, on s'aperçoit que des barrières bordent par endroit la plage et en interdisent l'accès. Le panorama suivant nous en dit un peu plus puisqu'il figure un poteau métallique au sommet duquel est juché une caméra de surveillance, le tout maquillé de manière à donner l'illusion d'un palmier. Le décor est planté et le propos se fait plus clair lorsque vient ce que le spectateur peut considérer comme la dernière image à savoir, la seule sur laquelle apparaît une figure humaine mais vu de dos. Il s'agit d'un gardien en uniforme kaki portant casque colonial sur la tête et  talkie-walkie à la ceinture. Plage sous surveillance donc.

La série comprend initialement un nombre plus important de photographies, mais comme c'est bien souvent le cas dans les expositions de l'envergure des Rencontres, elle est morcelée. Toutefois, dans le cas présent, le propos de l'artiste, même s'il n'est vu que de façon partielle, reste lisible. Il y manque cependant toute une série de photographies sur lesquels l'on aurait pu voir ce qui constitue en quelque sorte le pendant à cette privatisation progressive de cet espace de liberté que sont censés être initialement les plages. Il s'agit de petites baraques de commerçants ambulants installer non loin de la plage.  Elles illustrent, du point de vue de l'artiste, un contrepoint à ces zones privatisées. Le photographe parle lui de poches de résistance face à la domination capitaliste actuelle.

Paradis perdu

 Ce qui fait la force de ces images, outre leur qualité plastique, c'est la manière dont elles abordent la question de la frontière. Mais il s'agit bien plus que de frontière, il y est question de ségrégation, de séparation, de marginalisation. Le photographe ne dénonce pas tant la violence des rapports entre riches et pauvres, il la pointe du doigt, en révèle le côté sournois, lent et progressif. Dans un premier temps, il semble nous inviter à la contemplation d'un paysage balnéaire mais au final nous nous retrouvons face à des murs de protection érigés qui nous interdisent toute évasion. La violence qui sourd de ces images en est d'autant plus percutante. Il se dégage de  l'ensemble une sensation de promesse non tenue, d'espoir déchu. En jouant des oppositions entre paysage, disons, idyllique et système sécuritaire, entre sentiment de liberté et barrière, voire enfermement, cloisonnement l'artiste nous fait pleinement ressentir ce que peut signifier pour d'aucuns la privatisation d'espace public que sont à l'origine les plages. Son discours est sans ambiguïté mais il n'est pas livré de façon brute. Yo-Yo Gonthier n'impose pas son point de vue. Il attend du spectateur qu'il se fasse sa propre opinion. Il y va donc par petites touches discrètes et progressivement nous fait voir puis comprendre ce vers quoi il attire notre regard. Il est plus artiste du dévoilement que de la révélation. La vérité est un cheminement semble nous suggérer la manière dont-il procède.

Certes, nous savons que ce discours est tronqué du fait que sur la série, seules 6 photographies ont été sélectionnées. Ceci étant, le plasticien a beau avoir réalisé des images présentant ce qu'il considère comme des poches de résistance, il n'en demeure pas moins que le sentiment qui l'emporte est celui de la violence faite à ceux qui ne pourront plus accéder à ces espaces maintenant dédiés uniquement aux loisirs.

A force d'images

Yo-Yo Gonthier pratique la photographie comme une forme d'ascèse avec des règles qu'il s'impose et auxquels il ne veut déroger. Cela transparaît même dans le choix du format de ses images. Il fait de la photographie comme d'autres font de l'estampe ou de la calligraphie ou écrivent des haïkus. Ce n'est pas un hasard si la vague de Hokusai est une de ses images de chevet. Ce n'est un hasard non plus si bien souvent à l'origine de certaines de ses photographies il y a un dessin. Il veut aller à l'essentiel, ne pas se perdre en tergiversation. Mais dans le même temps, il ne se précipite pas. L'essentiel exige de l'attention, de la concentration. « Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation », dit l'adage. Yo-Yo Gonthier ne veut pas qu'il y ait de confusion, que l'on se méprenne sur ce qu'il veut dire. Ce qui par moment peut être un handicape, car il y a toujours un moment ou il faut dire. Mais c'est de cette tension et de cette dynamique qu'il tire la force de son propos, la force de ces images. 

Dagara Dakin, décembre 2009.